ART ET FÉMINISME
Rédaction : Naomi Bussaglia / Romain Dejardin
Quelle place occupe l’art dans la lutte féministe ? À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, Quatremille a discuté art et féminisme avec ces artistes liégeoises qui luttent pour faire bouger les mentalités.
Si le ras-le-bol généralisé des femmes remonte de plus en plus souvent le fil de l’actualité, c’est que les réseaux sociaux ont donné la chance à certaines de s’armer et d’enfin se faire entendre. Un combat qui touche également le milieu artistique. « Marre de ne pas être sélectionnée à un concours parce que je suis une femme », « marre de voir des oeuvres féministes détruites aux yeux de tous, sans qu’on en parle », « marre qu’on arrache les collages sur les féminicides parce que ça dérange. » L’art féministe, un ultime moyen de communiquer avec la société ?
Pas de chômage pour les féministes
« Petite soeur » du mouvement Vie Féminine, le collectif liégeois Et ta soeur rassemble des femmes de tous horizons et métiers. Parmi les multiples projets de l’organisme, « on exerce un travail de suivi, notamment concernant les plaintes pour agression » cite Marjorie Goffart, membre depuis cinq ans. En 2020, de nombreux manques ont été mis en évidence par le confinement. L’exemple le plus flagrant : la difficulté de trouver des toilettes accessibles et sécurisées pour les femmes. Des projets découlent alors de ces situations, dont par exemple l’idée de cartographier toutes les toilettes dites « safe » de Liège.
En 2021, le sexisme est loin d’avoir disparu. Le collectif tient à éveiller les citoyens face à ce danger dans la société. « Un projet qu’on pourrait retrouver cette année par exemple, c’est la parade à vélo. Déjà, ce ne serait pas un rassemblement où le port du masque est obligatoire. Mais au-delà de ça, c’est une déclaration que nous faisons de la part du collectif vers les femmes de la ville » explique Marjorie Goffart. « Aujourd'hui, une fille qui veut se promener à Liège va y penser à deux fois, parce qu’elle sait qu’elle sera “ennuyée”. Et beaucoup de Liégeoises n’osent plus sortir de chez elles, même pour une balade à vélo. Le collectif, non-mixte, propose à ces femmes de parader toutes ensemble, pour sensibiliser les citoyens aux dangers du climat qu’on retrouve à Liège. »
L’art, vecteur de protestations
L’art a toujours eu une place très importante dans les milieux militants. Il est un moyen de diffusion et de dénonciation. Cette semaine, le collectif Et ta soeur organisait une manifestation nommée « La Piraterie - masse critique ». À l’ère du numérique, et encore plus en période covid, la norme est d’organiser un événement facebook et de le partager un milliard de fois auprès d’un public généralement ciblé. Mais pour cet événement, Facebook a reçu des plaintes et a décidé de le censurer de sa plateforme « pour propos haineux ». Qu’à cela ne tienne : ce sont des flyers qui envahiront les rues de Liège !
« Les militantes féministes ont toujours existé, mais elles n’avaient ni médias journalistiques ni réseaux sociaux pour se faire entendre » développe Elise Dutrieux, chargée de comm pour le festival Voix de Femmes. Ce qui change la donne aujourd’hui, c’est la notion d’archivage qu’offre les réseaux sociaux. « Il y a une toute nouvelle dimension d’accessibilité qui était inconnue des générations précédentes. On apprend à être une militante autrement, pas dans la rue en manifestant, mais aussi sur les réseaux. » Alors qu’on retrouvait auparavant un sentiment presque d’illégitimité dans le cœur des femmes qui cherchaient à se faire entendre, on rencontre aujourd’hui chez certaines une confiance inouïe et une rage de faire avancer les choses. Elise cite alors Donna Haraway, une des pionnière du cyber-féminisme : « Comment lutter ? En existant. »
Féministe 2.0
Parfois isolées, les jeunes femmes cherchent des moyens d’être rattachées à des communautés qui leur ressemblent. C’est le cas de Aude, aka La Maraudeuse sur les réseaux. En 2014, elle se retrouve coincée en campagne et cherche à se rallier à une cause, un moyen d’être soutenue dans ce qu’elle vit, et de soutenir les autres. De là, elle crée ses pages facebook et instagram @pourquoidevenirfeministe. On y retrouve de tout : des blagues, des infos, des images, des flash news, le tout sous forme d’appels à se rallier au féminisme. Son objectif ? « démocratiser la culture féministe et queer. » « De nos jours, il y a des ressources géniales, à remplir des bibliothèques, malheureusement celles-ci ont un coût » explique Aude. « L’idée avec la page, c’est de démocratiser l’information, la rendre accessible à tous, et proposer des alternatives à moindre prix. » Pour ses 19.000 abonnés, La Maraudeuse s’est lancée dans un job — bénévole — à temps plein : être cyber-féministe.
Lutter contre une norme sociétale
Les dangers de ne pas être prise au sérieux en tant qu’artiste existent. Illustratrice, Manka donne des exemples : « On met des étiquettes sur l’art féminin. Du coup, une bd écrite par une femme sera automatiquement appelée “girly”, et on en attendra des sujets légers, féminins, mais pas sérieux. » Devenu effrayant pour certaines artistes, se revendiquer féministe est également éreintant tant il est difficile pour une femme artiste d’échapper au féminisme une fois le sujet abordé. « Ça mène presque à culpabiliser si jamais on ose faire une pause dans l’activisme et créer de l’art qui ne se rapporte pas à la cause. » Manka explique avoir déjà subi une espèce de burn-out émotionnel lié à son implication envers les associations féministes et les jobs qu’elle tenait. « J’essaie de trouver un juste milieu maintenant, pour également entraîner mon art à s’épanouir autrement. Mais bien sûr, avoir l’occasion de partager sur le sujet est un droit. » Un droit que les artistes désirent revendiquer, et non pas une chance d’avoir l’occasion d’en parler.
Le sexisme se cache sous de multiples formes dans les différents secteurs artistiques. Ainsi, alors qu’elle était engagée pour réaliser des photos de presse, Marjorie Goffart, elle, s’est souvent vue physiquement poussée par des hommes engagés au même titre qu’elle. La Maraudeuse expose la possible généralité pour une femme artiste de ne « jamais créer le buzz dans son domaine », et donc risquer de ne pas pouvoir monétiser son art à juste titre. Les artistes féministes qui surpassent ces obstacles ont presque d’autant plus de mérite d’exister.
Mieux vaut tard que jamais
Hormis la montée de l’activisme sur les réseaux sociaux, les nouvelles générations tentent surtout de faire bouger les choses dans les mentalités. « Durant mes années d’étude à Saint-Luc, je remarquais des manquements au sujet des artistes féminines, mais également non-genrés ou faisant juste partie des “minorités” » explique Aude. « C’était assez effrayant de se dire qu’il n’y avait aucune ouverture si on désirait parler d’art qui n’émanait pas d’un homme blanc hétérosexuel. » En s’exprimant, elle remarque qu’elle ne ressentait pas d’encouragement pour les artistes femmes à l’époque. « Et si par chance une femme réussissait à se faire un nom dans le monde de l’art, par exemple dans la peinture, elle devait généralement se cacher derrière un pseudo masculin. Sa personnalité à elle était totalement effacée. »
Barbara Salomé Felgenhauer, artiste photographe professionnelle depuis environ huit ans, s’exprime quant à elle sur les changements qu’elle a observés dans les écoles d’art. « Actuellement à la Cambre, je reçois un enseignement tout à fait différent de celui reçu durant mes études dans les années 2010. Clairement, rien n’a changé sur le fait de faire partie d’un univers purement masculin, mais je suis heureuse d’être enfin enseignée sur des artistes féminines, et également d’assister à des conférences sur l’inégalité hommes-femmes dans le monde des arts et de la culture. » Cette évolution dans la relation aux genres était plus qu’attendue, et nous rassure quant à l’avenir du secteur. Comme dit Barbara : « C’est par l’art qu’on peut induire des changements au niveau de la société. »
LE SLAM À DÉFAUT DE QUOI ? — Romain Dejardin
Le milieu du rap, du slam et de la culture urbaine en général s’avère difficilement accessible pour les femmes au vu du machisme ambiant. Mel Slam en est un exemple supplémentaire et complémentaire. L’artiste a tenté de débuter dans le rap avant de se tourner vers le slam après s’être confrontée à une réalité à laquelle on ne devrait pas s’attendre. Au fur et à mesure de l’entretien avec la jeune femme et de son expression quant à son expérience, les anecdotes se multiplient et nous rappellent que de nombreuses femmes ont encore matière à balancer leurs porcs. Entre les propositions mal placées, les chances de mener à bien un projet en lien trop étroit avec l’espoir de conclure, ou encore les travaux bâclés et les difficultés de trouver des prods, on a un peu de mal à retrouver le professionnalisme attendu. « Tout est en rapport avec la sexualité et s’il n’y a pas moyen il n’y a pas de projet » nous confie Mel.
La passion de Mel Slam a permis à sa motivation de ne pas être entravée. Tout ceci l’a encouragée à persévérer et à contribuer à la création d’un cadre sûr notamment en compagnie de l’équipe de La Belle Hip-Hop, un festival ayant lieu sur 8 jours, accueillant des ressortissantes de 8 pays dont la 4ème édition démarrera cette année à l’occasion de la journée internationale des femmes.
La période est propice à l’ancrage de la gente féminine dans la nébuleuse urbaine portée par des collectifs forts et soudés qui continueront d’évoluer avec notre soutien, ou pas.