FAB74, DE LA BRIQUE À L'ÉPIDERME
Interview : Nader Mansour // Rédaction : Anthony Katone, Marine Mélon // Photos : Simon Verjus
À l’instar de beaucoup d’anciens tagueurs, FAB74, véritable pionnier du graffiti liégeois, s’est dirigé vers une carrière de tatoueur. Depuis son shop, il développe son parcours ainsi que sa vision des deux passions qui l’animent et du lien qu’elles entretiennent.
Entrer dans le salon de tattoo Gueules Noires, c’est comme entrer dans un mini-musée. Esquisses de tatouages, anciens portraits de mineurs et photographies de graffs vandales... Un premier regard sur les murs suffit pour comprendre l’itinéraire de ces petits-fils de mineurs. En plus de proposer leurs différents artistes, qui comprennent les fondateurs Mike Them, K-Zam Greg, Fab mais aussi Renzo, Tom et Joe, les gueules noires offrent au public différentes expositions ainsi que, depuis peu, un festival : le Caritatif Tattoo Day, dont les bénéfices sont reversés au SRG Le Phare. Bien que l’édition 2020 sera peut-être compromise au vu de la crise du COVID-19, le succès du 14 décembre dernier — qui avait accueilli 22 artistes tatoueurs et 10 DJs —, encourage ses organisateurs à réitérer l’expérience.
Fab74, c’est qui ? — Marine Mélon Fab74 a commencé par le graffiti à la fin des années 80, avant de faire partie de l’illustre collectif JNC. Petit à petit, il est devenu l’un des pionniers du graff liégeois, celui qui tague un terminator de dix mètres de haut à Sclessin. À l’époque, il voyait cette activité comme un exutoire : « J’avais des problèmes à la maison donc c’était une bonne manière de s’exprimer » mais aussi de créer de nouvelles amitiés et de se faire respecter. Parmi ses inspirations, on retrouve la légende californienne Mister Cartoon. Considéré comme l’un des plus influents dans le milieu hip-hop de la West Coast, il était le roi du style chicanos représentant la loyauté et inspiré de l’iconographie catholique et des arts de rue. On retrouve aujourd’hui ce style dans le travail de Fab. Le Liégeois a donc toujours été influencé par le tattoo, même dans ses graffs. « Depuis que je suis enfant, j’ai toujours eu l’image d’un vieil oncle ou d’un grand-père avec des tatouages sur les doigts. » nous explique-t-il. Après des études à Saint-Luc, il a appris cet « artisanat » comme il dit. Il a ensuite ouvert son propre salon de tatouage avec ses amis : Gueules Noires. Ouvrir son propre shop à pignon sur rue où les gens peuvent entrer, discuter et demander conseils, c’est ce qu’il souhaitait, « Tout l’inverse du discret. » Chacun est venu avec sa particularité. Celle de Fab, c’est le Black and Grey Fine Line, autrement dit des traits fins et des gris légers avec « une imagerie surtout chicanos et réaliste ». Et JNC dans tout ça ? Depuis 1991, le clan des JNC arpente le paysage liégeois à la recherche du meilleur spot pour tagguer leurs œuvres. « L’homme de la Meuse » sur le quai de la Boverie, c’est eux. À l’origine, il n’y avait que Jaba et Nere 5. Mais au fil du temps, le crew s’est élargi et diversifié dans l’art graphique avec notamment des sculpteurs, des dessinateurs ou encore des tatoueurs. Ils viennent de tous les horizons, « les plus vieux frôlent la cinquantaine et les plus jeunes marchent encore à quatre pattes » peut-on lire dans leur livre hommage JNCKingz 25th Anniversary. Trainer dehors à la recherche de l’adrénaline, voilà ce qui les obsédait. Même si aujourd’hui la plupart d’entre eux ne graffe plus beaucoup, ils continuent de boire des coups ensemble jusqu’au petit matin et la nouvelle génération prend le relais. |
« Graffer dans la rue, c’est tatouer le mur »
La marginalité, voilà certainement l’un des composants communs au graff et au tattoo ! S’il s’agit à présent de pratiques plutôt populaires, ancrées dans les mœurs et dans la culture du « street art », elles ont souvent été́ associées dans l’imaginaire collectif à la criminalité́ et la délinquance et ce non sans raison.
« Y’avait des mecs qui étaient venus de Bruxelles pour taguer. Et en une soirée, j’ai recouvert tout ce qu’ils avaient fait ! Il y a quelque chose dans le « vandale» relatif au territoire et à l’autopromotion. », nous explique Fab tout en posant son aiguille sur la peau d’un client attentif. « (...) Pourquoi on t’oblige lorsque tu sors de chez toi à regarder les affiches publicitaires ou électorales alors qu’on ne t’a rien demandé ?! Moi aussi je vais faire ma propre campagne ! C’est ça le « fame ». Voilà̀ comment ça a commencé́ aux États-Unis dans les années 70 (...). ». Mais un esprit revendicateur, du bon matériel, de la technique et du style ne suffisent pas pour FAB. Un bon graffeur se doit aussi d’acquérir ce respect dû à ses actes. Ce qu’il a osé́ graffer, et surtout où il a osé́ le faire ! « Des mecs sont devenus des légendes comme ça ! ». Un état d’esprit vandale qui s’est perdu selon lui, au profit de la notoriété́ sur les réseaux. « Les gars maintenant ils peuvent graffer dans le jardin juste pour une photo Instagram. (...) Il y a encore beaucoup de jeunes graffeurs qui sont actifs mais les choses ont changé́, s’ils veulent partir en « mission » tout est surveillé ! (...)»
« Je pouvais tuer pour du graff. Maintenant ma vie c’est le tattoo ! »
Ayant abandonné le graff pour se consacrer essentiellement au tatouage, FAB observe une évolution similaire des deux domaines, au-delà̀ d’une comparaison technique. Si, à la base, ces deux arts étaient réservés à une certaine communauté́, leurs succès respectifs les ont amenés à être populaire dans la plupart des strates de la société́. Bien qu’il se désole que ces arts de rues et de marginaux soient devenus des arts de galeries, il félicite tout de même le fait que cette popularisation élargisse non seulement le public, mais surtout l’univers artistique. « On a maintenant dans le tattoo des putains d’artistes ! Des peintres qui deviennent tatoueurs et qui font des trucs incroyables. A la base le tatoueur c’est pas un dessinateur, c’est un artisan. C’est comme un cordonnier quasiment ! (rires) ». En nous confiant que l’on vit en même temps les pires et les meilleurs moments, The Fabulous Fab sait qu’après l’effet de mode « Seuls les vrais resteront ! »