FAUST, UN ANNEAU POUR LES DIRIGER TOUS
Rédaction : Milan Amélie Nyssen // Photographies : Opéra Royal de Wallonie-Liège
En reprenant un Faust né à Turin en 2015, l’Opéra Royal de Liège a fait un pari audacieux, celui d’une modernité sans concession, fort d’un casting très belge et on peut le dire, tout à fait grandiose. Certains reprocheront peut-être au metteur en scène italien, Stephano Poda, de rester dans ses codes habituels : jeux de noir et blanc, nudité, rituels et symbolismes … Mais ce serait oublier une chose fondamentale : l’opéra est un art vivant, un spectacle au même titre que le théâtre et il a donc pour vocation de faire voyager, d’offrir et de partager une histoire au plus grand nombre. Même si l’heure est aux plateformes de streaming et autres retransmissions dans de grands complexes cinématographique, rien ne vaudra jamais l’émotion suscitée par la puissance vibratoire de la musique provenant de la fosse et de la scène. Pour son Faust, Poda propose, sans clef de lecture prémâchée, une vision sobre et néanmoins extravagante. Au spectateur de créer sa propre interprétation, d’imaginer les liens entre les personnages, de ne pas rester assis en se contentant seulement d’apprécier une jolie musique sur une belle mise en scène. Non, il s’agit ici de s’investir dans l’histoire, de chercher à comprendre ce que signifie cet anneau massif de plusieurs tonnes. Dans la pièce, c’est un véritable personnage à part entière évoluant au fil des actes, parfois comme une barrière, un tremplin ou encore une porte pour les protagonistes. Bref, il s’agit de « consommer » l’opéra autrement ! Cette mise en scène épurée met en lumière la prodigieuse équipe réunie par Stéphano Mazzonis di Pralafera. Celle-ci est largement constituée d’artistes de notre plat pays et menée de main de maître par Patrick Davin. La force de l’orchestre et de son chef est d’être toujours en parfaite osmose avec les solistes et le chœur, offrant ainsi un écrin exquis aux voix. Et quelles voix ! Tout d’abord la Marguerite d’Anne-Catherine Gillet, grandiose dans ce rôle, plus lyrique que son répertoire habituel. Ici, elle aborde la jeune femme amoureuse avec une infinie délicatesse, revisitant ainsi une Marguerite loin des clichés habituels, une preuve de son intelligence. On retrouve dans son incarnation tant scénique que vocale la fébrilité et le trouble d’une adolescente succombant à son premier amour, particulièrement dans la Ballade du roi de Thulé où, personnellement, face à tant de beauté, mon cœur a sauté une pulsation ou deux. Ensuite, Marc Laho possède tous les atouts qu’on attend d’un Faust : diction parfaite, belle projection, phrasé d’une grande noblesse. Et si son dernier aigu de l’air « Salut ! » au demeurant chaste et pure, n’est pas au rendez-vous lors de la première, il est bon de rappeler que la vertu des très grands est cette capacité à rester dans son rôle quoi qu’il advienne. Quant au Méphisto de la basse italienne Ildebrando d’Arcangelo, il est sculptural, dans tous les sens du terme. Il irradie et hypnotise dans ce rôle grâce à son chant profond, racé, grinçant mais jamais caricatural. L’accent italien qui pointe de temps en temps rajoute en charme et donne à son Méphisto des airs de parrain napolitain bien plaisant. Enfin, dans le rôle de Valentin, Lionel Lhotte désarme par son aisance vocale tout bonnement incroyable. Quand le Belge chante, on est happé par le timbre de sa voix, la puissance et la rondeur qui s’en dégagent. Sans oublier, les mezzo de la production qui ne sont pas en reste avec l’israélienne Na’ama Goldman, incarnant un Siebel où percent sensualité et obstination, et la liégeoise Angélique Noldus, qui campe avec brio et drôlerie une Dame Marthe bourgeoise avide de plaisirs de chair. Mentionnons également l’immense travail accomplit par le chœur de Pierre Iodice ; les danseurs et les figurants, qui sur scène semblaient ne faire qu’un, offrent ainsi un des plus beaux tableaux de l’opéra. Last but not least, le jeune baryton belge Kamil Ben Hsain Lachiri convainc fortement en Wagner. Pour être tout à fait honnête, je me dois de vous dire que Kamil est ami très cher et donc, je ne suis pas la plus objective quand il s’agit d’écrire à son sujet. Cependant, force est de constater qu’avec une intervention des plus réduites, quelques phrases et une amorce d’air, Kamil s’impose par son phrasé musical, sa projection et sa présence solaire. Si vous doutez de mes dires, allez le voir sur scène !















