LE COMBAT D’UNE FILLE
Rédaction & Photos : Naomi Bussaglia // Oeuvres photographiées : Barbara Salomé Felgenhauer
Barbara Salomé Felgenhauer dévoile sa nouvelle exposition photo “Les Trois Grâces”, et elle ne nous déçoit pas. Installée dans les locaux de l’Espace Sept, l’exposition est ouverte jusqu’au 6 juillet 2019. Elle avait déjà fait parler d’elle avec l’exposition “Torse à nu” en début d’année, et propose maintenant un travail plus choc que jamais. Quatremille en a profité pour intercepter la Liégeoise autour des plats faits maison proposés à la Biocantine de la galerie.
Son propre body (positive)
Après de nombreuses années à combattre sa propre image dans le miroir, Barbara en a marre. Elle décide d’accepter sa peau, ses rondeurs, ses complexes, et de leur tenir la main le soir lorsqu’ils se cachent sous le lit pour l’effrayer. Exit ses monstres, elle choisit de vivre plutôt que de subir. “Je me suis retrouvée à démarrer ce combat contre les complexes,” explique-t-elle, les yeux rivés sur ses photos accrochées dans les deux pièces qui nous entourent, “des deux côtés de l’objectif.” Selon elle, pour remporter la bataille contre sa propre image, il faut se réapproprier son corps et accepter de le voir tel qu’il est.
En 2019, elle vit agressivement le combat du “Body Positive”, en exposant premièrement en février des clichés d’hommes torse-nus. “En tant que femme, j’avais l’occasion d’être assez détachée du combat en soi. Parce que c’était le leur. Il fallait que je les laisse avec ce moment, ils y avaient droit” nous confie-t-elle. Pour sa deuxième exposition de l’année, Barbara, elle-même photographiée sur un de ses six clichés, ne maintient pas le même discours : “Marre d’essayer de nous faire gober une norme physique que toutes les femmes doivent atteindre. Je veux encourager tous les corps : les dodus, les cicatrisés, les colorés.”

Le corps devient art
Avant que des modèles aux cheveux colorés, aux tatouages éblouissants et aux accents belges ne s’arrêtent devant l’objectif de Barbara, les Trois Grâces était une peinture de Rubens. L’oeuvre baroque datant de la Renaissance représente trois déesses, filles de Zeus. Nues et bien en chair, chacune représente une vertu : le charme, la beauté, et la créativité.
Malgré la nudité de ses photographies, Barbara veut s’éloigner de l’érotique et s’approcher plutôt de ce que signifiait les Trois Grâces en terme de beauté à l’époque de la Renaissance. Quoi de mieux pour redonner confiance à une femme, que de lui rappeler qu’elle ressemble à une déesse ? Barbara sait qu’elle s’attaquait à un énorme travail, non pas seulement pratiquement parlant, mais mentalement. “Il fallait aider ces femmes à s’affirmer et à s’accepter.” L’artiste reprend en expliquant le but final du travail. “Certaines avaient un réel besoin d’accomplir ce travail avec moi, et c’était mon objectif de les amener à un point où elles pouvaient être fières en regardant leur corps.”

En parlant de s’accepter
Dans la pièce principale, la lueur des bougies rend l’ambiance plus intime. Les quatre premiers clichés de la série “Les Trois Grâces” distillent une impression nouvelle. Comme si nous étions au centre du monde avec des milliers d’yeux rivés sur les portraits. À chaque fois, les photos de Barbara présentent un trio de femmes nues. Contact physique et visuel ou pas, les trois femmes forment un front commun et posent ensemble face à l’objectif - bien que certaines soient de dos. On aimerait qu’il y ait des milliers d’yeux pour voir ça. On lui souhaite.
Six oeuvres, dix-huit femmes, des dizaines de tatouages, des couleurs de cheveux et de peau différentes. Mais encore ? Les vertus de l’âge, des rides, des cicatrices, et des vergetures. Des femmes quoi ! Voir enfin de vraies corps de femmes représentés nous réjouit. Sans retouches, sans rien pour les cacher, sans aucune honte, ça rafraîchit.
L’artiste sourit à chaque fois qu’elle lève les yeux vers ses canevas. Elle s’approche et raconte quelques anecdotes avant d’être rejointe par certains des modèles. Celles-ci viennent observer le travail fini. “Le tableau tout à droite, avec les deux femmes de couleur a failli ne jamais être ici. Ce sont des larmes, des cauchemars et finalement un grand souffle d’acceptation qui ont réussi à l’accrocher.” Une des modèles a effectué un travail en plus d’accepter de se voir affichée là-haut. Malgré ses craintes, elle a donné son accord et est elle-même venue aider à l’accrochage des photographies. Barbara soutient que chacune était au courant qu’elles apparaîtraient lors d’une exposition, et qu’elle ne forçait personne. C’est main dans la main avec “ses filles” qu’elle a réalisé le travail des Trois Grâces.
La pièce qui ferme l’exposition se trouve derrière la terrasse de la Biocantine et accueille les deux dernières photographies de la série de Barbara. Sous des lumières tamisées éclairant deux clichés plus en chair encore que les premiers, l’ambiance est bien différente. Ils exposent chacun une femme complètement de face alors que les précédents jouaient avec les courbes et les profils des modèles. Ceux-ci génèrent encore plus de commentaires. Sur l’un, une femme au visage angélique éclairé par un spot offre un aspect “clair-obscur” à la photo. Sur l’autre, le corps d’une femme qui nous regarde directement est arboré telle une force. S’accrochant les unes aux autres, elles s’affichent. Fières de proclamer qu’elles sont femmes. On ne connaît ni leurs histoires, ni leurs noms, ni leurs professions, et pourtant on s’identifie dans chacun de leurs combats.

Son combat
En confrontant ainsi la culture à la société actuelle, Barbara espère écraser les barrières. “C’est un combat général qui n’aura malheureusement jamais de fin. Ici il s’agit du corps féminin, mais un jour il s’agira d’autre chose. Le combat que je supporte va au-delà d’un seul thème en particulier, il pousse les gens à sortir de leurs boîtes stéréotypées.”
Le travail effectué au long des deux derniers mois a permis à des femmes de tous horizons de se découvrir, mais également de découvrir les autres. “Le contact physique est facile lorsqu’on est habillé, on n’y pense même pas” explique Aby, une des modèles. “Mais dès lors qu’on est dévêtues, c’est un acte vulnérable que toutes les filles représentées ici ne connaissaient pas.” Entendre ces témoignages et ces expériences de vies permet de comprendre l’utilité d’une telle exposition, et celle d’artistes comme Barbara Salomé Felgenhauer. “Il y a une force dans le fait d’être à plusieurs dans la même situation. On est représentées à plusieurs nues. Du coup, malgré ce que la société attend de nous -qu’on se juge, qu’on se complexe, on remarque les différences d’avec les autres corps” termine Aby, les yeux perdus vers son portrait, un petit rire nerveux entre les lèvres. “Je remarque que j’aime bien la forme de mon dos comme ça, que je m’en fous en fait des plis qui sont là, parce qu’aucune des autres filles ici n’ont les mêmes. Même si je suis à l’aise avec mon corps, c’est un défi réel que d’accepter de voir son corps d’une telle manière. Ça me force à l’aimer.”
L’Espace 7 est ouvert aux horaires d'ouvertures de la BIOCANTINE du lundi au vendredi de 08h00 à 15h00. Ainsi qu'aux dates et horaires d'évènements programmés.