LE TRINKHALL, DU SQUAT AU MUSÉE
Rédaction : Naomi Bussaglia, Giorgia Calamia // Photos : Simon Verjus
Vous voyez ce bâtiment presqu'oublié, planté au milieu du boulevard d’Avroy, camouflé tantôt par les attractions foraines d’octobre tantôt par le chapiteau d’un cirque ? Après plusieurs années de travaux et de déménagements complétées par quelques mois de crise sanitaire, l’anciennement Madmusée a enfin ré-ouvert sous son nom d’origine : le Trinkhall Museum. Malgré des plages horaires réduites, ça y est, on peut le visiter !
« Il nous importe d’être ici » explique Carl Havelange, directeur artistique du Trinkhall Muséum. Dans sa bouche, le mot ici se pare d'une lueur toute particulière. « Être ici, ça signifie accepter et embrasser l'histoire du bâtiment. » Et quand d'autres musées se prénomment à coups d’acronymes, celui-ci revient ainsi à son nom d'origine : Trinkhall Museum. En plein centre de l'histoire liégeoise, et de l'histoire de l'art situé. Avec ses 600 m² d’exposition, sa couverture d’acier et ses anciennes structures conservées, le Trinkhall, au centre du Boulevard d’Avroy figure comme un pilier de l’histoire sociale et architecturale liégeoise. Impossible par ailleurs de parler du Trinkhall sans parler du Créahm, association dédiée à la création des personnes handicapées mentales, indissociable de ce lieu.
D’un côté de la ville...
Au coeur du Boulevard d’Avroy vers la fin du XIXe siècle, un bâtiment fier à l’architecture presque théâtrale, était connu comme le lieu d'assemblée de la ville, le Trinkhall Museum. Bâtiment au style privilégié de son temps, avec des tours de cuivre et entouré d’une « peau » d’acier détaillée d’une manière orientale. Lieu de divertissement, de culture, et de rencontre, il n’aura cependant pas survécu aux multiples catastrophes naturelles, et aux deux Guerres Mondiales après lesquelles il sera détruit. Un nouveau bâtiment reprend place par la suite, encore une fois désigné « moderne » pour son temps, fait de pierre, de béton et de verre.
...et de l’autre
Quelques années plus tard, un jeune artiste prénommé Luc Boulangé a l’occasion d’animer dans le Brabant Wallon un atelier qui accueille des artistes atteints de handicaps mentaux. Il décidera par la suite de se consacrer à cet art, sa nouvelle passion. L’atelier qu’il créera à l’avenir en 1979 prendra le nom de CRÉAHM — CRÉAtivité et Handicap Mental — et s’installera dans les baraquements de la Place Saint Léonard. C’est un atelier pionnier dans une perspective exclusivement artistique et non pas thérapeutique ni occupationnelle pour les artistes participants. Peu après, le noyau de la collection du Créahm compte près de 300 oeuvres du monde entier. Elle est alors exposée dans les locaux du Trinkhall Museum, à l’époque insalubre dû aux inondations. Luc Boulangé décidera cependant d’y rester et y installera le Créahm, malgré la décision de la Ville et les menaces d’expulsion. L’habitation du musée sous forme de « squat » fera vite parler d’elle et, un bras de fer mené devant les citoyens et la presse plus tard, Luc Boulangé obtiendra gain de cause. Quarante ans plus tard, le musée du Créahm se trouve toujours au Trinkhall, « un musée mis au service de la ville ». Sans le savoir, Luc Boulangé fait désormais partie d’un élan mondial car, au même moment et à échelle mondiale, de nombreux mouvements du même type voyaient le jour.
Au coeur du Trinkhall, la Salle Monographique — Giorgia Calamia Dans le hall du bâtiment, à quelques pas de l'œuvre le musée idéal, bâteau-musée d'Alain Meert, est mis à l'honneur un artiste belge ou étranger. Tout en conservant de fortes relations avec les ateliers du Créahm, la Salle Monographique vise à valoriser des artistes à l'international. Un espace permettant de diversifier la collection du musée en créant une tournante bimensuelle d'artistes différents. Actuellement, on peut y trouver l’exposition À tout n’a rien gagner de Jean-Michel Wuilbeaux, peintre résident aux Ateliers de la Pommeraie. D'une grande expressivité picturale, il décide de répondre aux questions qu'on pourrait lui poser en inscrivant ses pensées directement sur ses œuvres, qui prennent parfois des mois avant d'être finalisées. Pleines de couleurs et de vie, ses oeuvres s'inspirent fortement du passé minier propre à sa ville natale, Valenciennes, pour raconter de façon figurative et écrite ses histoires. Ses mots, couchés directement sur toile ou bien écrits sur papier, feront prochainement l'objet d'une lecture par Thierry Devillers. Grâce à la salle Monographique, le Trinkhall promeut le dialogue et l'échange, et permet la valorisation de ce mouvement si particulier qu'est l'art situé. |
Actuellement au Trinkhall
Fier de ses collections et de ses partenariats de par le monde, le Trinkhall décide d’utiliser chaque année son espace d’exposition à l’étage selon une thématique. Pour l’instant, c’est l’expo Visages/Frontières qui se révèle dans la salle à l’étage. Les visites sont libres, sans besoin de guide pour déambuler entre les panneaux d’exposition divisant la pièce en plusieurs couloirs.
Dans cette pièce lumineuse, c’est l’émotion qui prend le contrôle. Sans cartels décrivant les oeuvres, le visiteur peut s’armer d’un carnet numéroté avec les explications. Ici, l’effet voulu est de privilégier le sentimental à l’anecdotique. Et le sentiment, lui, est bien rencontré alors que l’on cherche à comprendre et découvrir les « possibles du visage » comme nous le chuchote Carl Havelange. Les possibles du visage, c’est un processus pour trouver son identité. Chercher à la comprendre, l’analyser, et la dénuder afin de pouvoir mieux la reconstruire.
“Les visages de la collection traversent les frontières de l’identité, ils s’effacent, se dédoublent, se déchirent, s’emboîtent ou se multiplient, choses parmi les choses, témoins d’existences fragiles et fragmentées, inquiètes ou jubilantes, emportées dans le mouvement perpétuel des environnements où elles se tiennent.”
https://www.trinkhall.museum/les-saisons-du-trinkhall#visages-frontieres