PEP’S ARTISTES : L’AMI TERRIEN, AUSSI INSOLITE QU’HÉTÉROCLITE
Chronique : Cécile Botton // Photos : Iman Rasse
Pep’s artistes ou la mise en lumière d’artistes aux propositions multiples. Cette fois, rencontre avec François Laurent qui nous dévoile des projets aussi hétéroclites qu’insolites : Amis terriens, Collectif du Lion, Lab’Oratoire, slam, parcours théâtralisés, ateliers d’écriture… sans oublier les très insolites nano-manifestations et expositions d’art money ! Prochainement, ce jongleur de mots invétéré publiera également deux livres mettant à l’honneur figures de style et jeux de mots.
C’est sous le soleil de Quatremille que j’ai rencontré un Ami terrien bien volubile ! Il est vrai que le contexte actuel ne peut que passionner cet engagé dans l’âme. « Dans les prochaines semaines, j'aimerais pouvoir développer des nano-manifestations autour de la crise du Covid-19. Notamment sur les assemblées constituantes qui me semblent être une sortie par le haut de cette crise lamentable dans laquelle notre pouvoir politique nous a plongé. »
Nano-quoi ?
Il s’agit de manifestations de petits personnages, de type Playmobil, dans les espaces publics. Une scénographie et un dispositif sont créés afin de permettre à la manifestation de se déplacer. « Dans le cadre de la Tempo Color, j’ai développé des grandes nano-manifestations avec 600-700 personnages. Chacun pouvait choisir son personnage, réaliser une pancarte et la disposer dans la manifestation qui a démarré Place Saint-Etienne pour arriver à l’Hôtel de ville. » Une manière de remettre en question la manifestation, de se demander si elle a encore du sens. Mais aussi une façon de manifester sans être confronté à la violence. « En fait, ces nano-manifestations découlent des expositions d’art money ! »
Les expositions d'art money consistent à exposer des pièces de monnaie peintes que les participants peuvent remporter en effectuant quelques missions dans l'espace public. Par exemple, créer des bulles dans une banque et les prendre en photo, ce qui en fait une bulle financière... « Peu avant la crise financière, j’étais chômeur. Je me suis rendu compte que lorsque je peignais un point rouge sur une pièce de monnaie, c'était non seulement un acte politique et artistique mais qu’en plus, je créais un intérêt financier en détruisant la monnaie… puisque j'en faisais une œuvre d’art et que j’augmentais ainsi sa valeur ! » Une façon de mener toute une réflexion sur le processus de création monétaire, les circuits économiques, la question de l'économie dans l’art… à travers différents jeux de rôle menés lors d’une Tempo Color.
Mais d’où nous vient cet extra-terrestre ?
Ami terrien comme nom de scène, quel lapsus révélateur ! L’ami des Terriens… François Laurent, lui, donne une toute autre explication accentuant son engagement social et politique. « Ami terrien trouve son origine dans un journal révolutionnaire datant de la Révolution française qui s'appelait l'ami du peuple. » Parfois, François hésite à changer de nom car avec le temps, ses textes politiquement engagés sont devenus moins nombreux. Aujourd’hui, le poète prend le temps de développer et d’affiner la forme de ses textes. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il a rédigé deux livres qui paraîtront très prochainement Voix navigables et Les réflexions fantômes. « Même si j’ai évolué, c’est aussi un nom et une image que j’aime bien. Il a beaucoup de couleurs ! »
Originaire de Bruxelles, François Laurent débarque à Liège il y a une quinzaine d'années. Un jour, il tombe sur l’affiche d’un tournoi de slam rigolo. « J’ai essayé d’écrire quelque chose de drôle mais je n’ai pas réussi ! » Persévérant, il participe à la scène suivante. « Là, j’y suis monté. Ce que proposaient les gens était tellement bizarre… je me suis dit que je ne serais pas plus bizarre qu’eux ! » C’était en 2008, sa première scène à la Zone. « Directement, ça m’a plu et à la fin de la soirée, j’ai donné un coup de main… pour balayer la salle ! » Le début d’une nouvelle aventure pour cet artiste, artisan du texte et de la voix. « Lorsque Jean-Marie Parents a quitté la Zone, j'ai porté le projet slam en continuant à favoriser les échanges notamment avec les 24h slam, les jam-slam et les scènes ponctuelles qu’elles soient militantes ou non. »
Pourquoi le slam ?
À son arrivée à la Zone, François est alors impliqué depuis déjà deux ans dans des mouvements politiques d’extrême gauche. « Je pense que le slam est une forme d'assemblée populaire. Tout le monde peut venir y prendre la parole librement, exprimer son vécu. Même si le texte n’a pas de vocation politique, c’est un acte politique très fort qui se vit collectivement. » Ajouter de la poésie et de l’humour aux textes que l’on offre en direct au public a séduit l’artiste. « J’aime aussi travailler la sonorité des mots de différentes manières et y incorporer des formes de beatbox tout en chantonnant parfois mes textes. »
Au départ de la Zone, un commando slam se met en place afin de soutenir l’émergence de nouvelles scènes slam sur Liège. Une aventure qui continue encore aujourd'hui sous une autre forme avec d’autres acteurs : le Lab’oratoire, qui a posé ses valises à la Casa Nicaragua en Pierreuse. « Une scène slam avec ses règles classiques, suivie d’une partie réservée aux aphorismes et aux spoken word. Le tout clôturé par un repas où l’on partage des textes d'auteurs qu'on aime bien. » Cette scène est enregistrée et diffusée sur 48FM lors de l’émission La porte ouverte à toutes les fenêtres.
Engagé dans l’éducation permanente, François mène des ateliers dans les écoles, les maisons de jeunes. Il donne également des formations sur la manière d'utiliser le slam et les ateliers d’écriture dans une perspective d'éducation permanente.
Mais d’où lui vient cette passion pour les mots ?
Hospitalisé vers l’âge de 8 ans, sa mère lui fait découvrir d’anciens humoristes tels que Fernand Raynaud, Lagaffe ou Popeck. Il devient fan et mémorise très facilement les textes. Il suit également des cours de théâtre en parascolaire. « Dans les repas de famille ou quand j’accompagnais mes parents dans les brocantes, je récitais des sketches, une manière de me faire un peu d’argent de poche. » |
Un parcours atypique
Depuis environ 6 ans, François Laurent participe à des concerts avec le Collectif du Lion (« Aux âmes, etc. », « Est-ce un oiseau ? », « Le procès de Brancusi ») À travers leurs projets multidisciplinaires tels que « Un éléphant dans la ville », le collectif a cherché à travailler des artistes du mot. « C’est comme ça que je les ai rencontrés et qu’Amis terriens est né. »
Un dernier projet, « Sous les pavés… la terre » sera prochainement joué au Tchafornis. Un spectacle politique qui revisite Mai 68 en mettant en scène cinq danseurs et quatre musiciens. « Un projet très coloré où je partagerai mes textes."
Avec son groupe, Amis terriens, il propose ses textes au percussionniste Michel Debrulle et au guitariste Nicolas Dechêne… «Tous ensemble, on fait avancer le morceau. » S’ils sont inclassables tant leurs compositions partent dans tous les sens, il y a cependant un amour pour les jeux de sonorités, de rythmes au niveau des mots qui se veulent en osmose avec la musique.
Un dernier projet : les parcours théâtralisés
Dans le cadre du déplacement de la bibliothèque des Chiroux à l’Espace Bavière, avec Fabrice Piazza, François Laurent a scénarisé un parcours théâtralisé basé sur le livre d’Éric Orsenna « La fabrique des mots ». Dans ce parcours, le public est embarqué dans un univers où un dictateur veut détruire les livres. Il s’agit d’une mise en scène avec laquelle apprendre la poésie et la création de nouveaux mots. Une troisième édition devrait débuter en mai pour un public scolaire.