SARAH MINUTILLO, QUESTIONNER L’IMAGE PAR L’IMAGE
Interview : Nader Mansour // Rédaction : Ludovic Minon, Naomi Bussaglia // Photos : Giuseppe Cordaro, Simon Verjus
Être artiste plasticienne sans créer de nouvelles images ? C’est le leitmotiv de Sarah Minutillo. Portrait d’une dessinatrice liégeoise qui dessine sans inventer, et questionne sans répondre.
« Les foires d’art, c’est parfois terrible. Il y a tellement de couleurs, d’images… à un moment, tu vomis ! » Dans une exposition collective comme En piste ! au musée de la Boverie, les oeuvres de Sarah Minutillo font office de respiration dans une apnée artistique. Au milieu du foisonnement de fresques, de tableaux, de lumière et d’exubérance, Sarah propose un mur sobre et épuré. Du flou, du blanc et puis du noir. Un point d’interrogation salvateur dans un nuage de certitudes.
Comment se positionner en tant qu’artiste plasticienne dans un monde dominé par l’image ? « On est constamment bombardé d’images. Sur les réseaux, dans la vie réelle, partout » développe Sarah. « On trouve côte à côte une image d’un chat qui se mord la queue et celle d’une bombe atomique. Et on les scrolle de la même manière, je trouve ça ahurissant ! » Dans ce flux tumultueux, Sarah choisit d’arrêter le temps sur une image, qu’elle redessine et propose au public. « Je redessine mais je n’invente rien » se défend-elle. « Des images, il y en a bien assez comme ça… »
« J’ai toujours dessiné » En secondaires, Sarah Minutillo est restée en générales. « Mes parents voulaient que je fasse de ‘vraies’ études supérieures. J’avais une option art mais c’était genre trois heures par semaine » raconte-t-elle. « Mais bon, c’était l’occasion de dessiner. » Après un bref passage à Saint-Luc en design — « Pas ouf » — Sarah effectue un régendat en arts plastiques. « Donner cours m’enrichit. J’aime bien mêler les mondes » développe-t-elle. « On dit parfois qu’on doit être ou prof ou artiste, mais je ne suis vraiment pas d’accord. » Ensuite, Sarah fait un bachelier et un master en peinture à l’Académie des Beaux-Arts. « L’an passé, j’ai fait un master en dessin et l’agrégation. Un peu chargé… » Et les expositions dans tout ça ? « Durant ces études, on a déjà l’occasion d’exposer » se réjouit-elle. « J’ai également fait une résidence dans la galerie CDLT., où j’ai pu exposer. J’ai aussi exposé à la Boverie, à Bruxelles, en Allemagne… Petit à petit, les choses se mettent en place ! » |
Interroger le tissu complexe des images et la manière dont on les aborde, voilà le coeur du travail de Sarah Minutillo. Un travail qui laisse une place immense à l’interprétation du public. « Je n’ai pas de message mais plutôt des questions » confie la jeune Liégeoise. « Mes dessins sont parfois détaillés mais souvent flous, parfois on ne voit pas grand chose. Peu importe. Ce qui compte, c’est ce qu’ils racontent au public, pas à moi ! » Donner au public la liberté de compléter le sens de ses oeuvres, voilà le pari que prend Sarah. « Je ne prétends pas savoir comment aborder les images, ni savoir lesquelles sont importantes. Et je ne sais surtout pas ce qu’elles vont apporter aux gens. Je n’ai pas ces réponses. » Et de conclure : « une bonne expo, c’est celle où tu ressors en ayant pris une claque, en te remettant un peu en question. »
Une pause dans le scroll — Naomi Bussaglia Avez-vous déjà analysé le temps que l’on passe sur une page Facebook, à regarder des vidéos en continu, à glisser après chaque photo ? Ou toutes les fois où vous avez ouvert un journal, allumé la télé, ou reçu un message durant ces derniers mois ? Avez-vous compté le nombre d’images que vous avez vues passer ? Il y a deux mois, alors que le monde faisait une pause, un événement marquant a lancé d’un côté de la planète une bombe rebondissante de nations en nations. Des centaines de milliers de pancartes étaient brandies dans toutes les capitales, alors qu’un simple portrait prenait la tête d’une révolution. Il a influencé nos conversations, il a englouti nos pages d’informations, nos réseaux sociaux, et a redonné la parole à un monde qui était jusque là, silencieux. Ce portrait, c’est celui de George Floyd. Ce portrait, c’est une image. Sarah Minutillo, qui s’est juré dans ses créations de ne jamais ajouter d’images au flux existant, a décidé de marquer d’un coup de crayon le portrait tant connu désormais. « Je ne crée rien (...), j’arrête le temps sur image. » En reprenant ce portrait, Sarah amène sa brique à l’édifice d’une révolution, mais elle le fait en restant fidèle à elle-même. « Je n’ai pas de réponses à apporter » observe-t-elle, en mentionnant son travail, « je n’ai que des questions. » Reproduire une photo déjà existante est, pour elle, une manière de questionner le monde qui l’entoure sur sa signification. La jeune artiste a ajouté sur le portrait une auréole qui passe presque inaperçue au premier coup d’oeil. Ça nous apprendra à prendre le temps de faire un arrêt sur image. |