STILL STANDING FOR CULTURE : LA RÉSISTANCE LIÉGEOISE
Rédaction : Olivier Sogan / Juliette Reip // Photos : Emilie Cronet, Juliette Reip
Samedi 20 février, le royaume a été pris d’une ferveur culturelle : des milliers de citoyens ont investi les rues pour crier leur besoin et leur amour pour la culture. Un acte politique qui s’est répercuté à Liège, où de nombreuses actions se sont déroulées simultanément. Focus sur le mouvement Still Standing for Culture qui, en initiant et coordonnant les manifestations, a permis de mettre en place plus de 500 actions réparties dans 150 lieux à travers le pays.
La résistance liégeoise
En début d’après-midi, la place Saint-Léonard est bondée. Cela fait si longtemps que les pavés de ce lieu de rassemblement emblématique n’ont pas été foulés par autant de citoyens liégeois ! La place regorge donc d’humains, petits et grands, rassemblés sous un soleil régénérateur. Mais ils ne sont pas là pour simplement profiter de la belle journée. Car ce jour hors du temps monotone imposé par les mesures sanitaires successives — confinement, port du masque obligatoire, couvre-feu, etc. — marque aussi la troisième action de Still Standing for Culture.
En lisière du quartier Saint Léonard, les Liégeois se rassemblent devant la vitrine de la librairie La Grande Ourse, rue Maghin. Grâce à une collaboration de personnes issues de divers collectifs — Voix de Femmes, Maison Médicale de Saint Léonard, entre-autres —, la libraire s’est métamorphosée en scène. Slameuses, poètes et femmes de lettres se succèdent, sous l’œil et le micro bienveillant de Sandy Louis, rédactrice freelance et chroniqueuse à 48FM. La radio associative, épaulée par l’ASBL d’Une Certaine Gaieté, retransmet d’ailleurs la performance sur ondes courtes. À l’extérieur, baffles et radios déconfinent les mots et pensées. La journée annonce-t-elle le printemps, ou le renouveau de la culture ?
RENAITRE, LE TEMPS D’UNE JOURNÉE — Juliette Reip Ce samedi, quelques milliers de belges se sont rassemblés pour faire entendre la voix d’un vaste secteur, celui de la culture. Dans plus de 100 villes en Belgique, ils ont crié, dansé, chanté, joué, pour qu'on les entende haut et fort, cette mobilisation pour preuve que la culture est essentielle. Essentielle car elle nous fait vivre, elle nous fait rêver, elle nous emmène ailleurs pendant un instant en tant que spectateur et nous permet de nous exprimer en tant qu’artiste. À Liège, durant les dizaines d’actions et de performances qui ont eu lieu, nous avons retrouvé des sensations interdites depuis bientôt un an. Pour les artistes, ne plus pouvoir échanger avec un public fait de chair et d’os, c’est comme mourir un peu. Mais ce weekend, ils ont pu renaître le temps d’une journée. « J’ai eu l’impression de revivre, tel un phénix » , confie Sebastien, artiste de rue, jongleur interdit de pratiquer son métier car il représente un risque de rassemblement dans la rue. « Depuis samedi la joie est enfin présente à nouveau dans mon coeur... » La joie, celle d’être ensemble, nous en avions presque oublié la saveur. Cette euphorie d’être rassemblés face à toutes ces émotions éprouvées lors d’un concert, d’un spectacle de danse, de théâtre et cela fait bientôt une année qu’elle s’était effacée. Durant l’action « Still Standing for culture » , les gens ont ri, pleuré, dansé, crié, se sont enlacés, mais surtout, se sont levés contre l’incohérence des mesures gouvernementales. Le but de l’action étant de mettre en place des mesures équitables, humaines et solidaires, qui nous autoriseraient à pouvoir revivre ces sensations perdues tout en respectant les règles sanitaires. Pour beaucoup, cette mobilisation était une renaissance, une joie retrouvée, une journée remplie d’énergie positive et beaucoup d’espoir pour la suite. La première expiration après une année en apnée, et sûrement pas la dernière. |
Un acte politique et citoyen
Si certains médias interprètent mal les actions du samedi 20 février — « Fête de rue improvisée » pour la Libre et « Carnaval clandestin » pour RTL —, c’est également le cas de quelques citoyens qui passent à coté d’un acte politique et solidaire. Coordonné par le mouvement Still Standing For Culture, il s’agit, selon le comédien et membre actif David Murgia, d’un « rassemblement spontané de fédérations artistiques, d’artistes et de publics ».
Ensemble, ils répondent au sentiment d’injustice grandissant dans les entrailles du secteur culturel depuis le début de la crise sanitaire, face à un gouvernement pour qui « les secteurs commercial et industriel sont les priorités » souligne Julie Peyrat. Cette dernière, comédienne du Zététique Théâtre, a participé à la coordination des actions liégeoises. « Il y a une inégalité du traitement de cette crise selon les secteurs. » On peut en effet s’interroger sur la place réservée à la Culture par un gouvernement qui autorise les magasins de vêtements, par exemple, à rouvrir leur commerce, tout en maintenant fermés les lieux d’éducation permanente, pour ne citer que ceux-ci.
Une variable d’ajustement
C’est déjà ce que dénonçait en décembre dernier la carte blanche La culture n’est pas une variable d’ajustement, qui cumule actuellement plus de 700 signatures. « Car il n’a échappé à personne, déplore le secteur culturel, que les restrictions ne s’appliquent pas de la même manière à différents pans de la société : certains sont considérés comme de simples variables d’ajustement et sont régulièrement mis à l’arrêt pour permettre à d’autres, jugés "essentiels", de continuer à tourner. »
Pour Stany Paquay, qui s’exprimait lors d’une édition spéciale du JT de TvLux consacrée au mouvement Still Standing, « la culture est plus qu’un loisir, c’est un bien d’utilité publique ». Il s’agit donc de changer le paradigme, pour paraphraser Julie Peyrat, et de donner à la Culture la place essentielle qu’elle devrait avoir en tout temps, en particulier en temps de crise. Selon la comédienne du Zététique, il faudrait trouver « des solutions qui ne lèsent pas le pan culturel », plutôt que promettre une éventuelle ouverture en fonction de la situation épidémiologique, qui menace de se prolonger.
Une lueur d’espoir ?
Ni Julie Peyrat ni David Murgia ne fondaient d’espoir envers la réunion du comité de concertation de ce vendredi 26. « Ils vont peut-être dire une chose en trompe l’œil » déplore ce dernier, « mais le fait est qu’ils font mine de ne pas entendre notre discours ». Car faire passer la Culture de « variable d’ajustement » à « bien d’utilité publique », l’essence même du mouvement, demande des « choix politiques forts ». Effectivement, ce comité n’a pas annoncé d’assouplissement significatif relatif à la situation du secteur culturel. Alexandre de Croo évoque ainsi une « douche froide », précisant que le temps du relâchement « n’est pas si éloigné ». À partir du 1er mars cependant, le couvre-feu en Wallonie passera de minuit à 5h du matin.
Les photos de Juliette Reip :

















Les photos d'Emilie Cronet :










