VOIX DE FEMMES #15, ÉPISODE DEUX : À BRAS LE CORPS
Des chroniques de Julie Bernardi, Catherine Brennecke, Morgane Perez Lucena, Juliette Reip & Fanny Valenzano
Photos © Catherine Brennecke & Juliette Reip
Illustrations © Mathilde Manka
Cette semaine, le cinéma engagé était à l’honneur au festival Voix de Femmes avec le film Les Nouvelles Guérillères réalisé par Elisa Vdk. Côté prestations, on retrouvait une séquence de Buddy Body, mise en scène par Elsa Poisot, suivie de Ce que peuvent les corps, discussion entre projets et philosophie. Le tout clôturé par Fusion + Unmuted histoire de donner à nos rédactrices de quoi se tordre corps et esprits. Sans oublier la performance percutante de l'inspirante Lylybeth Merle.
LES NOUVELLES GUÉRILLÈRES
Catherine Brennecke, Julie Bernardi, Fanny Valenzano
Tou.s.tes assis.e.s dans la magnifique salle du cinéma le Parc, c'est ensemble que nous avons découvert le documentaire d'Elisa Vdk Les Nouvelles Guérillères. Entre larmes aux yeux et frissons, le visionnage de ce documentaire portant sur neuf collectifs féministes nous a réellement touché.
Ce film de 70 minutes met en lumière un nouveau féminisme inclusif et positif avec une réalisation étonnamment dynamique et moderne. Les images sont belles, travaillées, le montage est rythmé, captivant, dans l’air du temps. Tantôt drôle, tantôt émouvant et poignant, ce documentaire représente le féminisme de maintenant. Le féminisme qui se bat pour sa cause, mais aussi pour toutes les autres. Le féminisme aux visages et aux formes multiples. Le féminisme qui remet tout en question, même le féminisme lui-même. En bref, le féminisme engagé, déconstruit et constructif qu’on aime voir.
Les Nouvelles Guerrières suit neuf collectifs bruxellois de femmes plus inspirantes les unes que les autres. La Fronde, Laisse les Filles Tranquilles, les Déchainé·es, Noms Peut-être, Bledarte, Mémoire Coloniale et Lutte Contre les Discriminations, Imazi·Reine, Apolline Vranken et Manon Brulard, des meufs badass. Au-delà du féminisme, elles nous parlent de racisme, d’inclusion et d’ouverture d’esprit. Un discours inclusif (mais non-exhaustif) pour ielles, intersectionnel et dans la transmission, à travers lequel on découvre des femmes, principalement, qui souhaitent nous partager leur ras-le-bol du patriarcat.
Les combats sont multiples. L’espace public, l’histoire, les institutions, l’architecture sont remis en question. Un problème en soulève un autre mais les solutions ne manquent pas. Ce qui ressort peut-être le plus de ce film, c’est le sourire de toutes ces femmes. Elles se battent pour changer les choses avec une solidarité féminine qui fait plaisir à voir, avec une envie et une détermination incroyable. Tout au long de ce documentaire, on reçoit un message de compréhension, de respect, de soutien, d’entraide et d’amour. Avec bienveillance pour maître mot.
La projection fut suivie par un débat avec Héloïse Husquinet, chercheuse indépendante, Selemani Gloria Djemba, afroféministe liégeoise et réalisatrice du documentaire Sirop de Liège, le collectif de collages liégeois GlueGang et Irène Kaufer, féministe militante de la 2ème vague. La diversité des backgrounds des intervenantes a rendu cet échange sur la transmission incroyablement enrichissant, s'inscrivant parfaitement dans la continuité des questions soulevées par le documentaire. Mais surtout, ielles nous communiquaient leur proactivité à dénoncer et à démonter l’autorité du patriarcat actuel par des balades groupées à vélo, des collages d'affiches à la manière d'un attentat urbain, de manifestations ou encore de groupes de paroles.
Il n’y a pas une femme, il y a les femmes. Et elles s’entraident ensemble face à cette société injuste. Le message est simple et touchant, sans prétention, sans grands discours. On nous livre une vérité. La présentation est d’une honnêteté pure, ce qui rend le propos encore plus puissant. Ce film fait du bien, on ne peut que le conseiller. Peut-être que, comme pour nous, il vous laissera un sentiment étrange, celui d’être vraiment fière d’être femme.
BUDDY BODY
Julie Bernardi
Ce jeudi 21 octobre, le Manège Fonck a accueilli le dernier projet d'Elsa Poisot : Buddy Body. La comédienne Laure Lapel a partagé la scène avec Marion Lory, Elsa Poisot et Rokia Bamba, qui a également régalé nos oreilles en mixant en live. Lorsque la pièce, basée sur un témoignage réel, fut jouée sous nos yeux, il régnait dans le public un savant mélange d'émotions composé de compassion, questionnements, de l'approbation ou encore du choc. Alliant déclamations, compositions sonores et jeux de lumières, ce bouleversant spectacle nous a hypnotisés et a fait passé les 50 minutes de jeu en un claquement de doigt !
« Si je n'avais pas oublié mon téléphone dans le métro, j'aurais été à hauteur de Maelbeek quand ça a pété… », « Fuck off, la rue est à tout le monde ! », « On n'habite pas son corps seul.e », autant de phrases répétées lors des interludes sonores qui ont participé à nous plonger dans l'ambiance si singulière de ce 22 mars 2016, date du double attentat à Bruxelles.
Cette pièce de théâtre fut suivie par un échange animé par Nathalie Grandjean, philosophe, auquel ont aussi participé Elsa Poisot, metteuse en scène et Massinda Zinga, danseuse du collectif Sisterhood. Parfaitement dans la continuité de Buddy Body, cette rencontre nommée Ce que peuvent les corps a débuté par un partage d'expérience et du rapport qu'elles entretiennent avec leur corps. Parmi les points qui ont été soulevés, en voici quelques-uns qui nous ont marqués.
Premièrement, il existe un consensus implicite sur la dualité des corps: fragilité (utilisée majoritairement pour définir ceux des femmes) ou puissance (décrivant souvent ceux des hommes), comme si un corps ne pouvait pas être les deux à la fois.
Ensuite, les intervenantes ont évoqué le fait que les histoires traumatiques s'impriment dans le corps, que ce soit nous qui les avons vécues ou les générations nous précédant, et y laissent des traces. La différence de rapport au corps selon les cultures a aussi été abordée, les cultures occidentales s'ancrant principalement dans la tête là où les cultures afro-caribéennes se centrent plus dans le corps.
Pour finir, la question des normes a été longuement débattue. L'existence des normes rend certains corps illégitimes, les corps des minorités vont alors avoir la sensation de ne pas être à leur place et de ne pas pouvoir prendre de place. Le problème, mis en avant par la philosophe, est alors que la norme en soi n'existe pas. C'est en essayant d'y échapper ou d'y correspondre qu'on la crée. Mais alors, où est la sortie ? Peut-être devrions-nous aller à l'antithèse de ce qu'on attend de nous : on est un corps, on a un corps mais on va à l'encontre de toutes normes corporelles, sans bien sûr tenter d'y échapper, ce qui les renforcerait ? Il faudrait donc se comporter comme si aucune norme n'existait... Plus facile à énoncer qu'à mettre en place !
Une chose est sûre: nous sommes dans un monde où tout va de plus en plus vite, la norme est en continuel changement et les réseaux sociaux ne font que renforcer ce phénomène. Nous tentons tous de trouver notre place, de prendre sa place et de s'incorporer. La représentation de ce jeudi soir a suscité en nous de nombreux questionnements qui amènent de possibles pistes pour y arriver.
FUSION + UNMUTED
Catherine Brennecke & Morgane Perez-Lucena
Ce vendredi 22 octobre, le manège Fonck accueillait deux spectacles : Fusion, le duo slam-krump de Joëlle Sambi Nzeba et Hendrickx Ntela et Unmuted, un tableau chorégraphique par le collectif Sisterhood de Massinda Zinga. Deux pièces avec pour point commun d’être portées par des femmes noires.
Fusion
Un duo intergénérationnel qui marie slam et krump autour de débats sociétaux forts. Deux arts différents qui se rejoignent sur bien des aspects.
« Sœur j’ai peur » nous slamme Joëlle Sambi Nzeba, écrivaine et activiste de talent. Un texte qui crie la révolte, la peur, la colère d’un monde dans lequel elle vit. Ce spectacle réserve une place spéciale pour ces femmes et hommes noirs qui ont succombé sous le genou d’un policier. La bande sonore cite un à un leurs noms. « J’ai peur des bras qui enserrent des bavures et pourtant j’ai marché des siècles avant d’être née. » Un discours qui hérisse les poils et transperce les cœurs.
Hendrickx Ntela, danseuse polyvalente, performe tout au long du texte. À travers son corps, on comprend l’intensité dissimulée derrière le débit posé et mature de Joëlle. Avec le krump (Kingdom Radically Uplifted Might Praise), on traduit esthétiquement la portée du message. Elle voyage partout sur la scène en gardant cette force. Ça passe par des mouvements de bras, des respirations, de la prise de parole ou des expressions du visage.
Certains passages se font en interaction entre les deux interprètes et leur communion est très forte. Ces moments arrivent et repartent aussitôt sans nous laisser indifférent.es. Un spectacle très fort, dépourvu d’artifices majeurs, mais qui en envoie plein la vue. Une réelle fusion.
Unmuted
« On est fatiguées » répète l’une des membres de Sisterhood, un collectif créé à l’initiative de la danseuse, chorégraphe et activiste Massinda Zinga. Fatiguées de rester silencieuses. Cette représentation est une prise de parole et de pouvoir. Plus qu’un spectacle de danse, c’est une décolonisation.
Le spectacle commence par une « anti-expo ». Le public est invité à passer un rideau et à rentrer « dans la tête d’une femme noire ». Un assemblage d’objets, pancartes, photos et une cage humaine nous sont montrés. Anti-expo car l’exposition de 1958. Anti-expo aussi parce qu’il y en a marre de l’hypersexualisation de la femme noire.
Le spectacle se compose de tableaux différents avec beaucoup d’entrées et de sorties. Il est majoritairement dansé. Massinda Zinga a enseigné et porté le dancehall pendant des années et on retrouve la patte de ce style dans Unmuted.
Les danseuses portent un costume neutre qu’elles accessoirisent d’objets différents. On est transportés dans la richesse de la black culture et dans la sombre réalité de leur histoire. Les lumières s’éteignent et lorsqu’elles se rallument, les danseuses portent les muselières que les Blancs mettaient à leurs ancêtres.
La première condition pour rentrer dans le collectif, c’est être une femme afro-descendante. Elles ne sont peut-être que six à monter sur scène, mais comme elles disent très bien, leurs ancêtres sont avec elles. Un espace « safe » où elles seules peuvent se comprendre réellement.
C’est une invitation claire aux femmes blanches à se déconstruire. À déconstruire le féminisme blanc qui n’inclut pas le racisme. Ainsi, elles pourront enfin décoloniser cette emprise blanche dans la culture noire, et rendre cette appropriation culturelle qui s’est faite au fil des années.
Lilith(s) de Lylybeth Merle
Juliette Reip
Comédienne, metteuse en scène, performeuse, trans et militante queer, Lylybeth Merle ouvrait la soirée de samedi au Manège Fonck avec son seule en scène Lilith(s).
Avant son spectacle, Lylybeth m’accueille au milieu des préparatifs de la pièce qu’elle jouera quelques heures plus tard. Dans sa loge, un vase avec des fleurs de lys, quelques robes, une valise... Elle m’invite à la suivre pour fumer une cigarette dehors. Elle est maquillée en drag, elle est belle et m’inspire. Lorsque je la prends en photo, je ressens toute sa sensibilité.
« Je suis super stressée Juliette, c’est la première fois que je suis seule sur scène comme ça. Mais ça va bien se passer ! » Je la laisse alors se préparer pour la retrouver plus tard lors de la représentation.
Assise au premier rang, je la vois arriver sur scène accompagnée de Baxter à la régie. D’une légèreté étonnante, elle nous parle avec subtilité et humour de son parcours de transition de genre, de son corps, de son enfance, de son identité . Je suis instantanément très émue par la pièce, je me sens enveloppée de son univers.
Elle raconte un chemin tourmenté vers la femme forte qu’elle est aujourd’hui. Des baffles qui entournent la scène, résonnent des bribes de conversations avec sa maman, sa grand mère, sa tante... Les femmes de sa famille qui l’ont indirectement aidée à s’élever dans sa féminité.
Dans un cheminement d’apprentissages et de doutes, elle déconstruit le monde dans lequel elle vit, remettant en question le genre, les stéréotypes et tout ce qui s’apparente à la norme. La lumière se tamise et Lylybeth se met à danser, danser, danser. Les larmes me viennent et ne s’arrêtent plus. J’ai compris toute sa douleur. De mon point de vue de spectatrice, je la voyais exprimer dans cette danse une guérison, une évolution, un épanouissement. Face à ses blessures, être une femme forte et apprendre, grandir, toujours, pour s’épanouir et guérir.
La chronique en images de l'illustratrice Mathilde Manka :
N'hésitez pas à relire les autres articles sur cette 15ème édition du Festival Voix de Femmes :
Voix de Femmes #15, ÉPISODE UN :
Voix de Femmes #15 - Dis/continuer :