LA ZONE, L'INCONTOURNABLE CAVE DE L'UNDERGROUND LIÉGEOIS
Rédaction : Marine Mélon, Cécile Botton, Romain Dejardin // Photos : Tom Roelofs, Simon Verjus
Lieu d’accueil privilégié des cultureux marginaux depuis 1988, LA ZONE est de loin la cave la plus atypique de Liège. Une salle de concert bas de plafond remplie de musique et de sueur. Mais encore, une structure qui propose expositions, tables d’hôtes, soirées jeux… Et qui peut se targuer d’être l’épicentre de la scène slam liégeoise, rien que ça ! Portrait d’un pilier historique de la culture alternative en cité ardente.
Le point commun entre les rockeurs de Green Day, les rappeurs de Lunatic et les métalleux d’Amenra ? Tous ont joué dans la cave la plus branchée de Liège, devant 200 personnes à tout péter : LA ZONE ! « Amenra avait expressément demandé à jouer ici » se souvient Mathieu Belotte, responsable de la programmation musicale. En 2019, le groupe de métal le plus connu du pays s’arrêtait à la Zone après avoir rempli l’Ancienne Belgique trois soirs de suite. « Ils se sont retrouvés dans notre philosophie, parce qu’ici on ne dépasse jamais les 10€ d’entrée. Ils voulaient juste jouer à La Zone. »
Le leitmotiv de La Zone, c’est de mettre en lumière la culture alternative. Autrement dit, les minorités culturelles qui n’ont pas vraiment de lieu où se poser. Créée en 1988 par une troupe de théâtre à la recherche d’un lieu pour des concerts de rock, La Zone s’est rapidement élargie à d’autres genres musicaux malvenus dans les salles classiques. « Il y avait une volonté d’offrir une place pour les concerts un peu plus underground, que ce soit rap, punk ou autre » raconte Mathieu. « À Liège, il n’y avait pas grand-chose de cette taille-là à l’époque, de 200 personnes. » Accueillant toutes formes d’expression, La Zone devient rapidement un lieu fixe pour les artistes qui se font refouler des autres salles. « Quand ils ont commencé, les punks étaient dans un espèce de ghetto. Ils faisaient peur aux gens ”normaux“ » se souvient Pierre Lamotte, l’un des plus anciens membres toujours actif de la Zone. « Quand il fallait organiser un concert, il fallait trouver une salle, donner des garanties aux propriétaires de la salle que ce ne serait pas détruit et trouver une sono. Il fallait faire le concert, gérer tout, nettoyer tout et renvoyer la sono. Et puis essayer de récupérer la caution parce que le propriétaire quand il voyait le truc il disait “Oui mais vous avez laissé une trace là.“ Donc c’était extrêmement pénible. » Cette méfiance et ces aprioris ont aussi un coût. Il faut engager des agents de sécurité et des barmans professionnels par exemple. La conséquence ? Un ticket à 25€ pour un concert alternatif. Un peu contre-productif…
Le 19 octobre 1991, La Zone programme alors son premier concert… Gratuit, avec une douzaine de groupes à l’affiche dont Noise Gate, René Binamé et les Roues de Secours, Billy and the EP’s, Hiatus, Paswar et les Brouicks, I.D. N'War ou encore Fuze Box Machine. Cet événement a pu être mis sur pied grâce à un groupe d’organisateurs de concerts qui se sont liés à la troupe de théâtre d’action qui occupait la salle. Deux passions différentes, deux rythmes qui s’accordaient plutôt bien. Entre équipes autogérées et création d’Asbl, l’organisation du lieu s’est toujours faite à l’horizontale. « Il n’y a pas de chef » explique Pierre. « Juste des collègues qui doivent régler les problèmes ensemble. » En 2003, le Conseil d’Administration s’est séparé et les acteurs ont quitté la Zone. Les organisateurs de concert sont devenus les seuls gérants du lieu et ils ne comptent pas s’arrêter là.
Retranchée en Outremeuse, dans un bâtiment discret et fondu dans le décor… Difficile d’imaginer ce qui se trame derrière ces briques. Et pourtant, artistes et publics défilent : les débutants, les confirmés, ceux qui se découvrent une passion, les curieux et les amusés. Personne ne se rend à la Zone par hasard. Les gens s’y donnent rendez-vous pour la convivialité, et les artistes pour la tranquillité et le suivi des projets. Les quelques salariés qui travaillent pour cette maison de Jeunes accompagnent les talents dans leurs projets. « Tu peux arriver comme amateur et on t’aide à développer ton activité au fur et à mesure » explique Mathieu. Contrairement à d’autres structures liégeoises, ils peuvent s’y consacrer à plein temps. Cette plus-value n’est pas négligeable.
Au niveau des concerts, la Zone fonctionne avec une vingtaine de collectifs porteurs de projets qui contactent les artistes et organisent les soirées de A à Z. La Zone met à disposition gratuitement le lieu et sa logistique. Mais en dehors des concerts, une flopée d’événements en tout genre se sont développés à La Zone. Les cabarets, les 24h slam, les expos… Chaque jeudi, les tables d’hôtes proposent un tremplin aux gens qui veulent se lancer dans une cuisine alternative. « On a été les pionniers de la cuisine végétarienne et vegan à Liège » explique Maxime Deflandre, coordinateur à La Zone. Les ateliers de sérigraphie, eux, permettent aux gens de réaliser des projets à prix coutant, à raison deux dimanches par mois. L’objectif ? Travailler une technique de reproduction suivant cette philosophie punk qui dit : « Crée toi-même et donne de la visibilité à ce que tu fais ! » Ce mélange improbable de disciplines stimule la création de projets. « Des gens qui font de la sérigraphie par exemple vont rencontrer ceux qui organisent des concerts, et les sérigraphes vont proposer de faire des affiches pour ceux qui font des concerts. (…) Ce sont des gens qui ne se seraient pas forcément rencontré autrement. » résume Pierre. Le succès vient aussi de ce mélange, qui fait évoluer et perdurer le projet depuis plus de 30 ans déjà… Et qui ne compte pas s’arrêter là.
LE SLAM DE LA ZONE — Cécile Botton
Lab’Oratoire, Barricades, l’Armande, Blues Sphere… le slam ne manque pas de scènes à Liège. Mais le grand incontournable, c'est bien sûr La Zone ! Rentrée très attendue, elle a organisé sa première scène slam post-confinement le mercredi 16 septembre dernier. Rencontre avec Maxime Deflandre, slameur et responsable à La Zone.
« Il y a huit ans, c’est en trainant les pieds que j’ai franchi la porte de la Zone pour la première fois ! À la fin, ma pote m’a proposé un pari : écrire pour la prochaine scène… » lâche Maxime Deflandre. Pris au jeu, Max découvre l’envie d’écrire, de dire des choses ! « Et puis, le slam, c’est un petit peu comme une famille. Les mêmes personnes reviennent et peu à peu, on tisse des amitiés, on rencontre autour de la poésie des gens qu’on n’aurait jamais rencontrés parce qu'ils ont des horizons professionnels, des passions, des styles musicaux qui sont complètement différents… En fait, la scène Slam, c'est le véritable symbole d’un vivre ensemble possible. » Dans la foulée, Max enchaine les championnats à travers le pays. Finaliste du championnat de Belgique, lauréat du prix paroles urbaines, il enregistre aussi sur vinyle… « Mon plus grand souvenir, c’est la coupe du monde qui s’est tenue à Paris en 2017… C’est là que j'ai réalisé que le slam est un mouvement planétaire ! Je me suis retrouvé avec des poètes russes, vietnamiens, sénégalais, brésiliens, argentins, hollandais, allemands, autrichiens… Ce qui unit les slameurs, c’est aussi un côté un peu voyage ! »
En 2017, ce passionné devient coordinateur à La Zone. Un lieu dont l’objectif premier est de privilégier les événements alternatifs et d’offrir ainsi une visibilité à des artistes inconnus du grand public. « La Zone a un titre expérimental et ses grandes pierres angulaires sont les scènes slam, les concerts, les tables d'hôtes et les ateliers de sérigraphie... Au-delà de cela, on est un petit peu touche-à-tout à partir du moment où c'est original et non-médiatisé. » conclut Max.
Active depuis une dizaine d'années, la scène slam est un lieu pour échanger autour de la poésie et rendre la parole au peuple. Une seule règle : un texte a capela dit par son auteur en 3 minutes maximum. « D’une quarantaine de personnes au départ, on a actuellement des scènes de 150 personnes… D’ailleurs, L-Slam avec Lisette Lombe, ou Lab’Oratoire avec l’Ami Terrien sont passés par la scène slam de la Zone. »
LA ZONE PRÉSENTE DRAG ATTACK ! — Romain Dejardin
Quand on a un historique aussi long que La Zone, les anecdotes sont nombreuses. Et sont autant de raisons qui classent ce lieu parmi les symboles de la culture alternative et de l’ouverture d’esprit. Un exemple ? Drag Attack !
Dimanche 16 décembre 2012, le folklorique cabaret Drag Attack est venu mettre des paillettes à La Zone au cours d’une soirée organisée par le collectif du même nom. Les drag-queens Peggy Lee Cooper, Valentine Deluxe et Tricity Vogue ont fait le show pour une édition spéciale haute en couleurs, accompagnées d’une flopée d’artistes de tous bords.
« Du cabaret old school, de l’effeuillage, du ukulélé, du chant, beaucoup d’humour et la participation exceptionnelle des membres de la troupe des Bas Nylons de Bxl, de Boudin et Chansons, de Madame Jasmine, et d’une pléiade de musiciens. Avouez-le, vous êtes gâtés, non ? » : Comment ne pas être tenté.e ne serait-ce que par un coup d’oeil furtif à la lecture de pareille annonce ?
Ce qui est sûr, c’est que Pierre Lamotte, vétéran des lieux, en garde un très bon souvenir. S’il devait choisir un événement parmi ceux ayant eu lieu à La Zone pour décrire l’endroit, il dirait « le cabaret dont je te parlais, qui a mis des pavés dans la marre… parce que c’était le premier comme ça, c’était provocateur. » raconte-t-il. « Le public l’a très bien accepté. C’était quelque chose qui montre l’esprit de la Zone, où finalement on peut aller dans des coins qui sont vraiment retranchés avec le respect de tout le monde et une bonne qualité de spectacle. C’était vraiment brillant. Et avec un public qui participe et qui admet des choses qu’il n’a jamais admis avant. Ça… je trouve ça bien. »
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