Paul Delvaux à la Boverie ou l’art est-il gelé ?

Dans le cadre du 100e anniversaire du mouvement surréaliste, le musée de la Boverie organise, jusqu’au 16 mars 2025, une grande exposition dédiée à Paul Delvaux. Une brève incursion dans la construction des mondes du peintre, scénographiée à travers 150 œuvres inédites. Je m’y suis rendu ce samedi pour découvrir une esthétique insolite en constante évolution.   

 La visite commence par quatre portraits de Delvaux réalisés en 1981 par l’inimitable Warhol. On reconnaît immédiatement la patte du gourou du pop art : répétition de motifs sur fond de formes géométriques aux tons flashy. Soulignons que Paul Delvaux est le seul artiste peintre belge dont Warhol a tiré le portrait. Une entrée en matière parfaite pour afficher la renommée internationale de notre surréaliste national. 

Comme fil rouge essentiel à l’exposé, la présentation comparative des multiples influences de Delvaux. Certaines œuvres sont posées en vis-à-vis. Des Magritte, Modigliani ou James Ensor permettent de capter l’attention du modeste profane que je suis dans ce contexte artistique et historique. La cohérence du propos est ainsi renforcée tout au long de notre escapade.   

Du côté multimédia, deux salles sont disponibles pour nous présenter de façon interactive le décryptage de certains tableaux. On découvre sur écran géant la structuration des éléments en plongeant pas à pas dans la création de l’œuvre. Certains écrans diffusent un clip de notre Gainsbarre préféré, accompagné d’une Birkin en culotte courte. Un montage réalisé par Jean-Christophe Averty pour la chanson L'hôtel Particulier, où les amants dansent littéralement dans les œuvres de Delvaux. Hommage cocasse qui démontre son influence et le transformerait presque en icône du pop art  

On enchaine dans un tourbillon onirique qui frôle parfois avec la noirceur la plus pure. La rencontre du minéral et du végétal arpente l’œuvre de manière subliminale. Les perspectives géométriques sont tendues vers une modernité qui tarde. Des trains noirs parqués dans des gares obscurcies par les incertitudes crépusculaires, des femmes nues aux yeux exorbités, d’autres trains noirs stationnés dans de nouvelles gares nocturnes, accueillis par deux fillettes suspectes à la ‘Shining’ (La Gare forestière), ou de nouveaux corps touffus promis à une exaltation certaine… La mélancolie de Delvaux flirte souvent avec le sinistre… son discret surréalisme avec la mort inévitable.

Cette obscurité frôlant l’ésotérisme ne m’a pas précisément touché. J’ai moins senti l’artiste novateur dans sa(ses) catégorie(s) que fondu dans les courants qu’il a sillonnés. J’ai parfois trouvé surfaite la mélancolie qu’il étalait à travers ces espaces mornes et grisâtres, mais dois reconnaitre que le côté spectral qui hante son œuvre peut facilement être connecté à chaque vie qui découvrira son œuvre. Cependant, l’humilité notable du personnage le rend captivant et sincère. Les photos de sa nomination comme chef de gare honoraire de la ville de Louvain (on le découvre en équilibre sous un képi), ou pendant une séance de dédicaces transforment l’artiste en homme, démystifient son côté sinistre et le sortent de sa ténébreuse torpeur qu’on croyait éternellement acquise.

Pour ce qui est de la visite en elle-même, je me suis presque réjoui – ce qui me semble terriblement absurde quand je l’écris – de parcourir une exposition remplie d’œuvres réelles. Des œuvres que l’on peut presque sentir ou toucher – ce qui se traduit par des œuvres que l’on ne doit ni toucher ni sentir – à l’inverse de cette funeste mode contemporaine de productions numériques remplies de flashs lumineux et d’apparitions grotesques. Je pense notamment à l’exposition ‘Monet’ à Saint-Pholien, qui se cache derrière des effets spéciaux pour pallier l’imagination, l’intelligence et le portefeuille des promoteurs événementiels… ou comment peindre sans peinture… 

Quand il s’agit de dépenser de l’argent, et pas seulement pour une expo, le visiteur lambda atteint rapidement, inconsciemment, une sorte de plafond de verre, un seuil infranchissable. On imaginait mal, il y a cinq ou six ans, sortir 3 euros pour sa baguette, ou payer l’essence 2 euros le litre... Ainsi, sortir 18 balles pour découvrir des mondes inconnus ‘grandeur nature’, même dans le cadre le plus idyllique qui soit, est rapidement devenu, inconsciemment, repoussant. Au-delà du côté repoussant, c’est aussi culturellement inconcevable pour une grande partie du public liégeois, car l’esprit de cette ville, le berceau de son âme reste intrinsèquement artisan, et non pas artistique… Si ce même public part à la rencontre du concept artistique et de son avant-garde, ce sera via ce bouche-à-oreille de village rassurant. Il sillonnera alors les vernissages d’art contemporain proposés par l’ami d’un ami dans des galeries ternes et torves de certains quartiers obscurs éloignés. Enfin, ce prix d’entrée ‘plafond’ peut facilement se traduire comme un prix de sélection. La main tendue par les institutions sera-t-elle un jour totalement ouverte ou continuerons-nous sur cette voie de garage toujours plus étroite ? 

L’élégant musée de la Boverie est le cadre idéal pour explorer les mystères des œuvres d’un de nos compatriotes à la renommée internationale. Malgré ces temps sursaturés de dilemmes abstraits, de contradictions opaques et de promesses non tenues, nous avons plongé, main dans la main, sous un soleil au zénith bercé par un zéphyr automnal, au cœur de l’univers sombre et parfois inquiétant de Paul Delvaux, qui, plus qu’un artiste, est un véritable artisan aux facettes insoupçonnées. 

 

 

 

Publié le 25 Octobre 2024 par

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