Génie ou escroc ?

2 avril 2023. Dimanche pluvieux qu'on dirait tout droit sorti d'une image automnale hantée, j'ai rendez-vous avec un artiste liégeois encore inconnu du grand public, Vincent Trovato. Quelques publications poétiques en autoédition à son actif chez Le livre en papier. Parmi celles-ci, un texte qui a retenu toute mon attention, Un millier de fois. Un monolithe poétique composé de mille "Je t'aime". Il me prévient d'entrée de jeu, la suite arrive bientôt. Un millier de fois II ?

– C'est toi qui as voulu fixer le rendez-vous ici, pourquoi Place du Marché ?
– J'aime beaucoup quand l'agitation moderne rejoint celle de l'histoire. On peut ressentir ça ici, et je ne dis pas juste ça ironiquement en te montrant le chantier du Tram. Non. Y'a un va-et-vient permanent sur cette place qui la rend à la fois tourbillonnante et chaleureuse. Le Perron surplombé par la croix, c'est aussi tout un symbole d'un truc qu'on a perdu. Un certain sens de la révolution, et du combat. Je suis assez nostalgique d'une époque que j'ai pas connue.

– T'es aussi branché Histoire ?
– Disons que j'aime bien comprendre ce qui m'entourent, et ce qui est à ma portée. Liège a de nombreux secrets qu'on mettrait une vie à déchiffrer.

– On est à la terrasse de ce café qui s'appelle justement le Perron. Tu viens souvent ici ?
– Ça m'arrive d'y passer pour boire un verre, c'est assez fascinant de voir circuler les passants. C'est aussi rassurant. Le monde continue de tourner. C'est une source d'inspiration infinie.

– T'écris en même temps ? Ça se passe comment ce travail ?
– J'aime bien écrire dans le boucan et l'agitation. Entendre les gens qui parlent, qui rient. J'aime être dans une forme d'action. C'est peut-être assez contradictoire avec la vieille vision qu'on a de l'écrivain solitaire, à son bureau, coupé du monde. Mais il suffit de lire la biographie de certains pour comprendre qu'avant de se plonger dans un mutisme solitaire, ils étaient sortis de batailles qui leur ont parfois couté santé ou vie sociale. Prends simplement Roald Dahl, avant d'écrire des contes le mec a survécu à un crash aérien pendant la guerre… Romain Gary était aussi pilote d'avion de chasse pendant la Seconde guerre mondiale. Autre chose que notre zone de confort en 2023.

– Tu t'identifies parfois à certains de ces auteurs ?
– Non, impossible. Je me dis juste que j'ai le cul dans le beurre, et pas que le cul, ça doit remonter jusqu'aux épaules. Enfin, je constate surtout que les gens autour de moi dépensent énormément d'énergie dans la complainte active sans avoir réellement connu faim, soif, guerre ou mort. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai totalement quitté les réseaux. Cette mode du "commentaire" comme moteur du monde m'effraie beaucoup, car dès lors qu'une minuscule contrariété surgit dans le réel, y'a plus personne pour combattre. On s'enfile les boites de Citalopram à la chaine. Tu sais, le petit comprimé blanc, ovale, sécable ?

– Oui, je vois, la référence à Houellebecq. T'es un pessimiste refoulé en fait ?
– Oh je l'ai peut-être été à mes heures les plus sombres. J'en suis sorti, je l'espère, un peu grandi. Les lamentations, c'est pas mon truc. J'ai essayé de me construire une sorte de méthode à la Descartes pour pas rester dans la panade. Nommer les choses pour les dépasser.

– Facile à dire sur le papier non ? Mais, y'a un truc qui me perturbe et que je veux te demander depuis tantôt, ça t'est venu d'où cette idée de mille "Je t'aime" ?
– J'essaie de rester un bon magicien. Je vais pas te donner le secret de tous mes tours (rires). Blague à part, c'est l'inverse qui s'est passé, c'est l'idée qui m'a trouvé. Une sorte de révélation un soir d'hiver dans une longue sortie en bagnole au milieu des champs. Au-delà de l'idée, c'est un travail avec plusieurs contraintes. Si tu as remarqué entre les lignes, y'a aucune négation. J'essaie aussi de pas répéter les mêmes mots malgré l'accumulation des trois principaux. Et enfin, y'a des références à ma vie passée ou à des personnes que j'ai connues.

– Est-ce que ça ne risque pas de rendre le tout répétitif et usant ?
– Certainement, et c'est l'effet recherché. Rendre l'amour usant, répétitif, lassant. T'imagines le projet ? Et si un jour l'amour disparaissait complétement ? Si on laissait juste place au rationnel, au calcul. C'est tout ce qu'il est en train de se passer en réalité. On automatise tous les secteurs du vivant. En fait, on nage dans un film de science-fiction. Bon, alors, c'est sûr, ça change de mes contemporains qui espèrent rendre tout comestible, attrayant, souriant et plein d'espoir. Mais ils remarquent pas que c'est l'effet contraire qui se produit. Plus on avance, plus on oblige le vivre-ensemble, l'égalité, la liberté et la cohésion sociale, pire c'est.

– On pourra peut-être trouver son "bonheur" en lisant un bouquin ?
– Peut-être, mais pas avec les miens (rires). Certains bouquins te permettent de dépasser le temps. Je pense à Lautréamont. Sa poésie, et son surréalisme m'ont vraiment libéré d'un poids. Je me suis dit, ok bibi, c'est lui le boss, relis ça encore et encore, et ferme-la bien. J'ai même appris des passages par coeur. Le passage des jeunes filles qui vont cueillir des roses est absolument le truc le plus magnifique que j'ai pu lire. C'est juste sain, apaisant et vivant. Mais les conditions du bonheur sont extrêmement limitées. Elles dépendent de tout un tas de facteurs biologiques d'abord. Ensuite, il faut voir si tu dois pas répondre à des questions d'interviews… (rires)

– Plus largement, vu que tu évoques tes inspirations, l'envie d'écrire ça te vient d'où ?
– Je n'en sais rien du tout. Mais voir matérialiser ses pensées est plutôt fascinant par moment. Tenir bêtement un journal intime régulier, ça te permet de remettre tout ton "savoir" en question. "Ah, merde, je pensais ça de tel ou tel évènement, ou de telle ou telle personne alors qu'il s'est passé ça et ça, ou que lui a dit ça et ça", etc. Écrire, c'est peut-être aussi une façon d'accoucher de soi-même. Je suis peut-être juste jaloux des femmes en fait (rires) ?

– Tu lis beaucoup ? Tu lis quoi ?
– Beaucoup ? Non, surtout pas. Je suis assez fainéant de toute manière. Et je pense que le "beaucoup" en lecture est une faute très grave. Je crois qu'il faut lire peu, mais lire des idées radicales, des trucs qui ont réellement changé la face du monde littéraire, ou du monde tout court, des trucs qui vont nous bouleverser. Alors on peut pas le savoir à l'avance, c'est certain, je suis pas devin, mais j'ai souvent eu une intuition assez géniale à ce niveau-là, et surtout de très bons "relais".

– Lire peu ?
– Oui, peu. Tu sais, les idées et les styles sont rares. Comme dirait Céline, c'est un ou deux par génération. J'aime en avoir pour mes attentes et mon "pognon". Par contre quand tu lis un auteur, tu dois le faire à fond, tu te dois de tout lire. Regarde Michel (Houellebecq n.d.l.r), j'ai tout bouffé. Interviews, essais, romans, poèmes ou articles de presse. Je trouvais enfin un "contemporain" qui m'éclairait sur certains sujets que je comprenais pas (même si je suis et serai en désaccord sur d'autres). Ça devient même un allié, et un bon conseiller. Lautréamont, Lichtenberg et Auguste Comte viennent de chez lui. C'est un gars assez généreux finalement Michel.

– Et pour le moment tu lis quoi ?
– Pour le moment, j'ai commencé le Cours de danse pour adultes et élèves avancés de Hrabal. C'est un roman d'une centaine de pages composé d'une seule phrase… Tu vois le truc, une phrase, cent pages, ça, ça m'impressionne. C'est Kundera qui fait la préface. Pas pour rire… J'ai lu Bukowski début d'année. John Fante, Neal Cassady, Brautigan, enfin les mecs de la beat génération. Là, je viens d'acheter Knut Hamsun, La Faim. Sinon, je tourne beaucoup autour des livres de foi. Les épitres de Saint Paul, c'est mon livre de chevet. J'aime beaucoup Pascal, Saint Augustin et Thérèse d'Avila. Je suis passé aussi par des livres "dangereux", mais ça je garde pour moi…

– T'en dis trop ou pas assez…
– Des livres interdits. Au sens réel du terme. Ça me fascine vraiment de vivre au 21e siècle et de constater que certains courants de pensée soient toujours "illégaux". Mais de quoi a-t-on peur ? C'est peut-être le signe le plus probant qu'un truc ne tourne pas rond dans la construction globale des évènements ? Enfin, on l'a vu avec le narratif officiel pendant deux années… C'est souvent les mêmes qui ont pris la parole pour raconter ce qui les arrangent. Et ce qui les arrangent, ça c'est souvent avéré de la merde en boite.

– Là t'es pessimiste ! (rires)
– Ahaha, non ! Juste un constat. J'espère que t'arriveras à finir ton café !

– Ahaha, t'en fais pas va ! Je résume, lire peu, mais tout, écrire en terrasse. Et maintenant, les projets ? et le futur ? la fin classique d'une interview…
– Oh pas grand-chose. Lire de bons livres, et attendre une nouvelle illumination. Y'a deux autres recueils de poèmes qui sont disponibles sur le site du Livre en papier qui, je dois le souligner, a une équipe qui bosse vachement bien. C'est pro, et la qualité du rendu final est parfaite. Bon, c'est de l'autoédition, il faut pas te planter. Que ce soit sur le fond ou la forme. T'as quelques goutes de sueur quand tu reçois l'objet… Sinon, je continuerai lentement à faire de la poésie. Et quand je suis pas dans tout ça, j'aime beaucoup aller rouler à vélo. Aussi regarder les Classiques avec des amis. Du pain et des jeux…

– On en a tous besoin… Merci d'avoir répondu à mes questions, tu vas faire quoi maintenant ? tu rentres bosser ?
– De rien, avec plaisir ! merci à toi ! Oh je vais enfourcher mon vélo et aller me balader dans la vallée de la Vesdre. Écrire passera après.

Publié le 5 Avril 2023 par

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